Cet article aborde le sujet des émissions financées des banques qui financent des entreprises, notamment en leur octroyant du crédit. Si vous êtes investisseur, nous vous recommandons la lecture de notre autre article sur les émissions financées.
À propos des émissions dites financées
En tant que financeur, votre métier consiste à apporter des solutions de financement aux entreprises pour leur permettre de grandir et durer.
Comme les activités des entreprises que vous financez génèrent des émissions de gaz à effet de serre, vous devez comptabiliser une partie de ces émissions dans l’empreinte carbone de votre établissement bancaire. Sans votre financement, l’activité serait moindre et les émissions de l’entreprise également.
Il est donc logique de dire que la banque contribue indirectement aux émissions de l’entreprise qu’elle finance, et qu’on appelle des émissions financées.

Prenons un exemple. Crédit Mutuel Arkéa est l’une des organisations les plus avancées en matière de démarches environnementales d’après l’ONG Reclaim Finance.
Dans son rapport « NZBA : objectifs climatiques du Crédit Mutuel Arkéa », l’établissement indique comptabiliser près de 7 millions de tCO2e d’émissions financées pour ses activités d’investissement et de financements des entreprises sur les dix secteurs les plus carbo-intensifs.
Une fois ses émissions financées calculées, Crédit Mutuel Arkéa peut les piloter et (surtout) chercher à les limiter.
Le calcul permet aussi de calculer un ratio important : l’intensité carbone des financements, exprimé en tCO2e par million d’euros de financement.
Ce ratio rend possible, en théorie, la comparaison entre établissements bancaires. Nous y reviendrons.
Le calcul d’émissions financées dans la pratique
Pour le calcul des émissions financées, vous devez connaître la méthodologie de référence. Il s’agit du Partnership for Carbon Accounting Financials ou PCAF (à prononcer « picaf »).
PCAF propose des formules de calcul en fonction des produits financiers à comptabiliser :

Par exemple, si vous octroyez des crédits à des entreprises, vous pourrez utiliser les formules de la catégorie « Business loans and unlisted equity » :
Émissions induites par le financement = Encours du crédit octroyé à l’entreprise cliente * Émissions de CO2e de l’entreprise cliente / Total du bilan de l’entreprise cliente
Ainsi, si votre financement correspond à 10 % du total du bilan d’une entreprise qui émet 200 tCO2e par an, alors les émissions financées associées s’élèvent à 20 tCO2e par an.
Dans cet exemple, trois données sont nécessaires au calcul :
- Le montant du financement ;
- Le bilan de l’entreprise financée ;
- L’empreinte carbone annuelle de l’entreprise financée.
Dans la pratique, cette dernière donnée vous sera généralement inconnue. Vous devrez alors la modéliser.
Pour cela, plusieurs approches existent. Nous les avons présenté dans cet article. L’approche la plus simple consiste à utiliser des ratios monétaires qui permettent d’estimer les émissions d’une entreprise à partir de son chiffre d’affaires.
Par exemple, si l’entreprise que vous financez exerce une activité de « Vente de meubles », la base de ratios monétaires Exiobase indique un ratio de 132 tCO2e par millions d’euros de chiffre d’affaires. Si l’entreprise financée réalise 20 M€ de chiffre d’affaires, alors son empreinte carbone est de 2 640 tCO2e / an.
Si l’entreprise ne réalise pas encore de chiffre d’affaires, comme c’est le cas pour certaines startups, alors vous pouvez utiliser des ratios sectoriels bilanciels plutôt que des ratios basés sur le chiffre d’affaires. Exiobase fournit les deux.
Ce que font les banques, l’exemple de Memo Bank
Memo Bank est la première banque indépendante créée en France depuis plus de 50 ans. Nous l’accompagnons depuis 2021 sur différents projets de comptabilité carbone.
Pour calculer ses émissions financées, Memo Bank a suivi l’approche décrite ci-dessus.
De manière opérationnelle, la démarche comporte trois étapes :
- Consolider l’ensemble du portefeuille de crédit en vie à la fin de l’année avec certaines informations : type de financement, montant, code NAF de l’entreprise, bilan de l’entreprise, chiffre d’affaires de l’entreprise.
- Télécharger la base de ratios monétaires Exiobase et associer chaque code NAF à un ratio monétaire proposé par Exiobase. L’opération permet d’obtenir une modélisation de l’empreinte carbone de chaque entreprise financée. Cette modélisation peut être écrasée par une valeur fournie ou publiée par l’entreprise, si disponible. En analysant la base de données BilanGES, qui centralise les publications d’empreinte carbone d’entreprises françaises, l’équipe de Memo Bank a pu retrouver une dizaine de publications d’entreprises qu’elle finançait.
- Procéder au calcul des émissions financées en utilisant les formules de calcul de PCAF.
Pour une banque récente et avec un ADN technologique comme Memo Bank, l’exercice s’est révélé assez simple à mener. Le calcul de Memo Bank est documenté sur son site. Voici les résultats obtenus :
2022 | 2023 | Évolution 2023/2022 | |
---|---|---|---|
Empreinte carbone totale des financements | 1539 tCO2e | 1274 tCO2e | – 256 tCO2e |
Intensité carbone des financements | 123 tCO2e / M€ | 117 tCO2e / M€ | – 5% |
« Le calcul des émissions financées de notre portefeuille de crédit a été une révélation.
Confrontés aux chiffres, nous avons pris conscience que le véritable enjeu pour une banque ne réside pas tant dans la réduction de ses émissions d’entreprise (transports des collaborateurs, repas, etc.), mais dans celle de ses émissions financées.
Les deux sujets sont bien sûr complémentaires, mais c’est le deuxième volet qui est prioritaire.
Et surtout, la diminution des émissions d’entreprise ne doit jamais servir d’alibi pour éluder la nécessité de réduire les émissions financées. ».
– Michel Galibert, cofondateur de Memo Bank
La délicate comparaison de l’intensité carbone des banques
En 2020, l’ONG OXFAM publiait son rapport « Banques et climat : le désaccord de Paris ». L’ONG souhaitait alerter le grand public sur le rôle des banques dans le financement d’entreprises et de projets ayant un impact majeur sur le climat comme les projets pétroliers et gaziers.
Dans cet excellent rapport, elle fournissait une modélisation des intensités carbone des grandes banques françaises :

De telles valeurs n’ayant jamais été publiées auparavant, ce rapport contribua grandement à sensibiliser les particuliers sur l’empreinte carbone de leur épargne et les inciter à rediriger leurs capitaux des banques les plus émissives vers les moins émissives.
Ces valeurs sont d’ailleurs encore aujourd’hui utilisées dans le marketing de nombreuses banques, notamment celles qui calculent elles-mêmes leur intensité carbone.
De notre point de vue, ces comparaisons sont à manier avec précaution car les approches suivies ne sont pas les mêmes, ce qui peut provoquer d’importants écarts dans les résultats obtenus :
Valeurs issues des publications de banques | Valeurs issues du rapport OXFAM | |
---|---|---|
Méthodologie | PCAF | Carbon Impact Analytics (CIA) |
Facteurs d’émissions par secteurs (tCO2e / M€ de CA) | Base de données publique de Exiobase | Base de données privée de Carbon4 Finance |
Répartition sectorielle du portefeuille de crédit aux entreprises | Données réelles dont dispose la banque | Données estimées par OXFAM / Carbon4 Finance |
Memo Bank a d’ailleurs publié, en accès libre, un référentiel des intensités carbone des grandes banques.
Les établissements bancaires pourraient aller plus loin dans la transparence sur leurs émissions financées. Ce constat est valable au niveau des banques mais aussi (et surtout) au niveau de leurs produits financiers car cela permettrait de comparer plusieurs produits d’une même catégorie.
Pourquoi (et comment) aller au-delà des financées
Les émissions financées ne disent pas tout
Dans un monde idéal : toutes les entreprises que vous financez vous communiquent leur empreinte carbone, ces entreprises parviennent à réduire leur empreinte carbone, vos émissions financées diminuent.
Dans le monde réel, la majorité des entreprises ne calculent pas leur empreinte carbone. Ainsi, une baisse des émissions financées peut provenir de deux mouvements : une baisse des montants octroyés et/ou une redirection des financements d’entreprises sur des secteurs à forte intensité carbone (ex : activités industrielles) vers des secteurs à faible intensité carbone (ex : activités de service).
Cette redirection n’est pas forcément souhaitable car la décarbonation de l’économie nécessite du financement d’activités industrielles (ex : fabrication de batteries, construction de lignes de train, etc.).
Ainsi, vous devez considérer les émissions financées comme une donnée d’entrée pour comprendre la situation et préparer votre feuille de route, mais pas comme un outil de pilotage unique.
ACT Banking pour construire la stratégie climat de sa banque
Pour avoir une approche plus globale sur leur stratégie climatique, les établissements bancaires peuvent s’appuyer sur la méthodologie ACT Banking.
ACT est une initiative lancée en 2015 à la suite des accords de Paris par l’ADEME et le CDP. Son objectif est de faciliter la réorientation des organisations vers une économie bas-carbone.
ACT fournit des méthodologies sectorielles servant de cadre normatif aux entreprises du secteur concerné.
En 2024, après deux ans de développement, la méthodologie ACT Finance est publiée. ACT Finance est elle-même composée de deux méthodologies : une première pour le secteur bancaire (ACT Banking), une seconde pour l’investissement (ACT Investing).
Le principe de ACT Banking est (1) de réaliser un diagnostic à 360° des pratiques de la banque et (2) de la guider, via des outils dédiés et l’accompagnement d’un consultant, vers l’amélioration de ses pratiques.

Chez Carbon Cutter, nous sommes convaincus que ACT va progressivement s’imposer dans le secteur de la finance. Pour preuve, la Banque de France l’a notamment choisie comme cadre de référence pour son nouvel indicateur climat.
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Cet article vous a plu et vous souhaitez mettre en place des actions au niveau de votre portefeuille bancaire ? Contactez Anne-Clémence Barbier, en charge de l’expertise liée au secteur bancaire.
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