Comment calculer vos émissions évitées

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On parle d’émissions évitées quand une entreprise « évite » d’ajouter des gaz à effet de serre dans l’atmosphère sans toucher à son périmètre d’activité — sans modifier ni ses produits ni ses services, en clair. Autrement dit, des émissions sont considérées comme « évitées » quand l’action d’une entreprise permet de réduire les émissions de ses clients ou de ses fournisseurs, c’est-à-dire celles qui se trouvent en amont ou en aval de son propre périmètre. Ce concept est utilisé dans le cadre d’un bilan carbone. On le désigne parfois sous le nom de « scope 4 ».

Vous n’y comprenez pas grand-chose ? C’est normal. Les émissions évitées sont… compliquées.

Prenons une métaphore. Quand on dit qu’un accident a été évité de justesse, c’est que l’accident aurait certainement eu lieu si telle personne ou tel événement n’était pas intervenu in extremis. Pour les émissions évitées, c’est pareil. Si des émissions sont considérées comme évitées, c’est qu’elles auraient pu avoir lieu en d’autres circonstances, elles auraient pu se déverser dans l’atmosphère sous d’autres conditions. La notion d’émissions évitées porte donc en elle la notion de comparaison. Que compare-t-on dans l’histoire ? Réponse : on compare des émissions théoriques à des émissions réelles. Si on avait émis 45 tCO2e dans le scénario théorique et qu’on n’a émis « que » 20 tCO2e dans le scénario réel, alors on a évité de rejeter 25 tCO2e dans l’atmosphère.

Les émissions évitées par qui ? Pour quoi ?

Repartons de notre définition de départ : les émissions évitées correspondent aux émissions de gaz à effet de serre qui sont esquivées en dehors du périmètre de l’entreprise, grâce à un produit ou un service, par rapport à un scénario de référence où ce produit/service n’existerait pas. Le scénario de référence (théorique) est ici aussi important que celui de la solution retenue (réelle), car les deux sont comparés en étant placés au même niveau. Le concept d’émissions évitées est relativement récent, il a été précisé par plusieurs référentiels. On peut notamment citer la Net Zero Initiative, développée par le cabinet Carbone 4 et complétée par les recommandations de la WBSCD.

L’intérêt d’un calcul d’émissions évitées est de valoriser les activités économiques qui contribuent à la décarbonation de la société, et ainsi d’aller au-delà de la mesure d’empreinte carbone. Par exemple, un fabricant de vélos et un fabricant de chaudières au fioul peuvent avoir la même empreinte carbone sur le papier. Cependant, le premier pourra revendiquer des émissions évitées car son produit (un vélo) permet de décarboner les déplacements des individus — 80 % des déplacements de plus de 5 km sont encore réalisés en voiture —, tandis que le second fabricant ne permet pas de réduire les émissions du parc immobilier — le chauffage au fioul étant particulièrement émissif.

Pourquoi mesurer vos émissions évitées

Vous pouvez avoir recours à ce type de calcul dans plusieurs contextes. Nous en avons ici isolé trois, que l’on peut distinguer en fonction de leurs tenants et aboutissants vis-à-vis des objectifs de neutralité carbone.

Pour valoriser votre impact positif

Ici, le calcul répond avant tout à un enjeu de communication. Il permettra de valoriser l’image de votre entreprise et votre « marque employeur ».

Exemple : dans son baromètre de l’anti-gaspi à destination de la grande distribution, Phénix publie les émissions évitées associées à ses différentes offres ainsi que les gains économiques potentiels pour ses futurs clients.

Pour valoriser votre activité auprès des investisseurs

Ici l’enjeu est davantage l’orientation des flux financiers vers des activités qui permettront la décarbonation de l’économie. À ce sujet, le système des dividendes climat (encore en phase de test) devrait permettre de valoriser financièrement les émissions évitées en influant sur le prix d’un titre financier. Ce système orientera donc d’autant plus les flux financiers vers les activités qui contribuent à la décarbonation de l’économie.

Pour prendre des décisions mieux informées

Le calcul d’émissions évitées peut aussi être utilisé comme un outil d’aide à la décision, dans le cas où une entreprise aurait besoin de comparer l’impact de plusieurs projets en matière de bénéfices pour le climat. Dans cette situation, une ACV comparative peut également être utilisée, celle-ci ayant l’avantage de mesurer la contribution à différents critères — pollution des sols et des eaux, destruction de l’ozone, consommation des ressources….

Quand calculer vos émissions évitées

L’objectif de neutralité carbone (à atteindre en 2050) et l’urgence de la situation climatique impliquent que tout le monde fasse sa part et réduise ses émissions — y compris les entreprises ayant une activité « vertueuse » pour l’environnement. Si vous avez envie de calculer vos émissions évitées, nous vous conseillons de le faire après votre bilan carbone et après la mise en place de votre plan de réduction des émissions. Ne commencez pas votre parcours de décarbonation par un calcul d’émissions évitées.

Pourquoi faire passer le bilan carbone avant les émissions évitées ? Parce que vous devez comprendre votre influence sur le climat avant de valoriser vos efforts de réduction. Prenons l’exemple de Ÿnsect, une entreprise française. Ÿnsect vend des ingrédients à base d’insectes destinés à l’alimentation des animaux. Ÿnsect peut revendiquer des émissions évitées : ses produits étant moins carbonés que leurs alternatives carnées. Mais Ÿnsect n’a pas commencé par ce calcul. Le fabricant de nutriments travaille depuis sept ans sur la réduction de ses émissions. L’entreprise s’est fixé une trajectoire de décarbonation alignée avec les objectifs européens  — et même un peu plus ambitieuse.

Au-delà de la mesure de votre empreinte carbone,  vous devez comprendre la place de votre entreprise dans votre chaîne de valeur. Vous devez aussi identifier les effets de votre chaîne de valeur sur le climat ainsi que sa dépendance aux énergies fossiles. Pourquoi ? Parce que les principaux référentiels excluent les activités directement dépendantes de l’extraction et de la production d’énergies fossiles — la taxonomie européenne peut être un bon référentiel quant aux activités éligibles à ce type de calcul.

Une technologie d’optimisation du transport de pétrole n’est par exemple pas éligible à un calcul d’émissions évitées. Plus largement, en commençant par prendre la mesure de votre empreinte carbone et de votre dépendance aux énergies fossiles, vous éviterez de vous attirer les foudres des personnes qui voient les émissions évitées comme une source de greenwashing potentielle.

Exemple : un projet de ligne de métro reliant un aéroport à un centre urbain permet certes d’éviter des déplacements en voiture, mais dépend et participe au développement d’une activité (l’aérien) dont le volume est censé décroître pour respecter les objectifs imposés par les accords de Paris. La légitimité d’un calcul d’émissions évitées sur ce type de projet nous semble discutable — et serait probablement discutée.

Comment arbitrer entre calcul d’émissions évitées et ACV

Le calcul d’émissions évitées est mono-critère. Il se focalise sur les effets qu’une solution peut avoir sur le climat et ne mesure donc pas les autres externalités positives ou négatives de celle-ci. En prenant l’exemple d’une exploitation agricole, le passage d’une agriculture conventionnelle à une agriculture biologique ne se reflétera pas forcément dans les émissions de gaz à effet de serre par unité de production : les rendements plus élevés de l’agriculture conventionnelle et la mécanisation accrue sur certains types de culture en agriculture biologique contribuent à l’augmentation des émissions par kilogramme de produits.

Cependant les bénéfices d’un passage au bio sont importants si l’on regarde d’autres indicateurs : biodiversité, qualité de l’eau, stockage du carbone, pollution, ou encore bien-être animal etc. On parle alors d’évitement sur d’autres facteurs environnementaux. À l’inverse, un projet éolien en mer peut engendrer des émissions évitées car il décarbonera la production d’électricité, mais ce calcul ne prendra pas en compte ses conséquences potentielles sur la biodiversité.

Les questions à vous poser avant d’entamer la démarche sont donc les suivantes :

  1. Avez-vous mesuré l’empreinte carbone de votre entreprise, c’est-à-dire avez-vous réalisé un bilan carbone complet (scope 1, 2 et 3) ? Si oui, alors avancez jusqu’à la question 2. Et si non, commencez par un bilan carbone.
  2. Les activités de vos fournisseurs et celles de vos clients sont-elles compatibles avec un monde décarboné ? Si oui, alors avancez jusqu’à la question 3. Et si non, alors il est possible que vous ne pouviez pas revendiquer d’émissions évitées — voir NZI et WBCSD.
  3. Vous cherchez à mesurer uniquement la contribution climatique de votre produit ou de votre service ? Si oui, alors faites un calcul d’émissions évitées. C’est le bon outil. Et si non, alors tournez-vous peut-être vers une analyse de cycle de vie (ACV) ou vers l’indice de régénération du vivant.

Comment communiquer sur les émissions évitées

Les normes ISO 14067 et ISO 14064-1 définissent des principes en matière de communication associées aux émissions évitées. Les maladresses sont nombreuses dans le domaine. La plus commune étant celle qui consiste à faire comme si les émissions évitées venaient réduire l’empreinte carbone d’une entreprise. Exemple : votre bilan carbone vous dit que vous émettez 200 tCO2e/an. Votre calcul d’émissions évitées vous dit que vous évitez le rejet de 50 tCO2e/an. Hop, magie, vous pouvez donc abaisser votre bilan carbone à 150 tCO2e/an, n’est-ce pas ? Non. Nous vous conseillons de ne pas faire ça.

Le bilan carbone et les émissions évitées sont issus de calculs différents. En retranchant les émissions évitées à un bilan carbone, vous occultez artificiellement les effets de votre entreprise sur le climat — votre empreinte carbone. Pour vous en convaincre, il vous suffit d’imaginer une entreprise qui émet 100 tCO2e et dont les émissions évitées atteignent 100 tCO2e. En soustrayant ces deux chiffres, cette entreprise pourrait revendiquer une pseudo-neutralité carbone — ce qui est, rappelons-le, physiquement impossible et donc trompeur. Toute activité à des conséquences, même les activités qui sont souhaitables pour la décarbonation de l’économie.

Brewdog soustrait sa compensation financière à son empreinte carbone et affirme ainsi (à tort) être « carbone négatif ». Autrement dit, boire une bière Brewdog permettrait d’absorber du CO2 — les brasseurs injectent parfois du CO2 dans leurs bouteilles, mais cela ne fait pas disparaître le carbone pour autant. On comprend ici l’importance de ne pas soustraire les émissions évitées à l’empreinte carbone de l’entreprise.

Une autre erreur en matière de de communication consiste à oublier de contextualiser le calcul par rapport à l’ensemble de l’activité de l’entreprise. Prenons l’exemple d’un fabricant d’articles de sport dont la vente de vélos — qui génère des émissions évitées —, représente 15 % du chiffre d’affaires. Les 85 % de chiffre d’affaires restants viennent quant à eux de la vente de vêtements. Une communication claire se tiendra à bonne distance des phrases du type « nous évitons X tonnes de CO2 équivalent » pour privilégier « nos ventes de vélo, qui représente 15 % de notre chiffre d’affaires, permettent d’éviter X tCO2e par an ».

En théorie, tout se passe bien

La mesure des émissions évitées est un exercice théorique. On compare un scénario réel (l’utilisation d’une solution ou d’un service) à un scénario de référence (fictif) qui aurait eu lieu si la solution ou le service comparé n’existait pas. À ce titre, ce calcul ne pourra jamais être certain et sera toujours sujet à des incertitudes — sur la manière dont est construit le scénario de référence par exemple. D’où l’intérêt de communiquer de manière transparente sur les hypothèses prises pour construire votre calcul.

Si vous souhaitez monter en compétence sur la comptabilité carbone et les calculs d’émissions évitées, contactez-nous.

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